Levatura, le projet un peu fou d’étudiants de la faculté de biologie de Lausanne. Leur but : participer à la fabrication de la bière artisanale et développer ses saveurs. Leur produit : des levures saines et locales
À la base, une de ces bandes d’étudiants en biologie qui profitent d’une fin de journée ensoleillée pour s’en décapsuler quelques-unes dans une plate-bande du campus de Lausanne. Histoire, soi-disant, de préparer le projet à présenter au cours de demain. Un séminaire à trois crédits où les jeunes chercheurs s’exercent à trouver une application à leurs thématiques de prédilection. Cette fin de semestre du printemps 2017 débouchera sur la création de Levatura. Une équipe de passionnés au service de la bière et des brasseurs. Et évidemment du goût.
Malgré les semestres passés, l’idée est restée à peu de chose près la même : fournir à la culture brassicole artisanale des levures sur mesures, cultivées localement et personnalisées. De quoi singulariser les mousses brassées chez nous. Car une bière a besoin d’eau, de malt, de houblon, mais aussi de levures pour fermenter et se développer. Les nombreuses brasseries d’ici dépendent encore de produits de fermentation desséchés, importés et industriels. Un monopole de cinq à dix bases stéréotypées que la petite équipe de Levatura entend enrichir avec sa gamme de levures vivantes puisées ici ou dans l’histoire et le patrimoine de la bière. C’est nouveau en Suisse.
Le résultat ? Des bières plus amples, plus complexes, plus ouvertes aux arômes. Elles ont été testées et approuvées pour la première fois dans la cave d’un compère microbrasseur lausannois, le lendemain des examens. Avec simplement les levures patiemment développées dans un galetas du Petit Saint-Jean, entre deux bouquins de cours et quelques tubes « empruntés » à l’université et stérilisés avec un briquet de poche. Artisanal on vous dit.
« En fait, on s’est rendu compte que tous ceux qui tâtonnaient de la bière dans leur cave avaient compris comment gérer l’eau, puis le malt, puis le houblon, explique Lucien, cofondateur. Par contre les levures c’est complexe. Cela nécessite d’avoir l’expérience du laboratoire. » Et du savoir-faire. Chez Levatura, installée dans des locaux professionnels dans la région lausannoise, chaque base de levure grandit ainsi à son rythme, dans un savant mélange calculé au millimètre au moyen d’appareils de pointe.
« Les brasseurs nous on dit qu’on arrivait au bon moment » raconte Hugues, l’autre cofondateur. « Bon. Un géant de la bière suisse nous a gentiment traités de fous. Mais ça nous convient. On aime la complexité. On ne cherche pas la croissance. On aime le goût et le faire découvrir. »
« Ma première bière ? Probablement, une canette de blonde chaude, à 15 ans dans un parc à Lausanne. Mais la première vraie, je m’en souviens très bien. Une «Dr Gabs» achetée sur leur stand, au marché et dégusté de suite. J’avais 16 ans, et là j’ai pu me la payer moi-même. Depuis, je n’ai pas arrêté. Le choix est infini. » Lucien Genoud, un de ces bonshommes qui fréquente aussi bien les salles de cours que les bars et les restaurants. Il se destinait à la recherche scientifique quand il arrive, un peu par hasard, à l’Université de Lausanne en 2015. Mon but, minimum, décrocher un Nobel. Quelques bouteilles plus tard, l’étudiant a finalement modifié son projet initial en entreprise. « J’aime comprendre comment la nature se transforme. » Pour l’épicurien, mettre cette vie, faites maison, dans une bouteille permet d’en améliorer la qualité, de l’ancrer dans un terroir et une tradition. « On peut récolter les champignons d’ici, d’une cave centenaire ou d’un verger, puis fabriquer des levures utiles pour les brasseurs. C’est une façon de donner de la profondeur à la bière. Et celle-ci, la meilleure boisson pour amener les gens au goût. » Ces mains impressionnantes cherchent sans cesse quelque chose à grignoter. Lucien, c’est le genre bavard. « Finalement, je préfère participer à l’élaboration de bières plutôt que de me consacrer à la recherche fondamentale. Peut-être que je suis plus utile en me réalisant ainsi. »
On a beau appartenir à une bonne famille, issue d’une prestigieuse noblesse normande et bourguignonne, la première mousse se boit aussi en cachette, avec des amis dans un champ perdu près de Beaune. «Une 1664 qui avait surtout le goût de l’interdit», sourit Hugues, qui normalement se destinait à s’orienter vers le domaine viticole. «J’adore toujours le vin. Mon préféré, sans aucun doute, le Haute-Côte de Nuit, au goût si particulier. Mais la bière montre sa complexité quand on la découvre petit à petit. Une ‘Saint-Bon Chien’ des Franches-Montagnes c’est très proche du vin d’ailleurs.» Sportif (ceinture bleue de Hapkido), le port de tête droit et la voix claire, dans une posture d’étudiant en fin de journée, Hugues a quitté la France pour Lausanne en 2014. Le Master en Biologie de Dorigny le tentait, car il a toujours voulu “comprendre l’évolution” grâce à la microbiologie. «Et puis j’ai croisé Lucien, et là j’ai compris que c’était la fin de ma carrière. La levure, poursuit-il, ça a un côté direct, même magique: la vie se développe devant vous. On voit sous nos yeux comment un organisme se réalise. Finalement nous mettons nos études en application.» Au service d’un terroir dit-il, et de la qualité. «Parce qu’une bière d’ici bien conçue n’a rien à envier à la bière belge la plus réputée.»
https://www.24heures.ch/apres-les-vins-et-le-chocolat-lausanne-veut-sa-biere-961553901123
https://www.tdg.ch/cette-biere-a-le-gout-dun-parchemin-du-xive-siecle-945610642155
Notre projet à l’Abbaye de St- Maurice
https://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/biere-saintmaurice-prete-bue/story/18508254